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Kian avait galopé longtemps sous le couvert puis bifurqué dans les sous-bois, poussant Orion de plus en plus loin. Il ne pensait pas à chasser. En fait, il pensait à peine. Cette course effrénée était tout ce qu’il avait trouvé pour échapper à la douleur qui le broyait depuis la veille. Mais la douleur ne cédait pas et, quand il s’arrêta pour laisser reposer le cheval, il avait toujours aussi mal. Il n’avait pas connu un tel désespoir depuis la mort de son frère.
La forêt bruissait autour de lui, sombre futaie de chênes et de frênes envahie de fougères et parcourue de minces cours d’eau. Il remarqua distraitement que les moustiques étaient plus rares ici.
Il n’aurait jamais dû embrasser Azilis. Pourquoi, cette fois, n’avait-il pas résisté ? Maintenant, ce serait encore pire. Parce qu’il avait goûté à ses baisers, parce qu’il connaissait la douceur de sa peau, parce qu’il savait exactement ce qu’il n’aurait jamais.
Il sortit du sac accroché à sa selle le parchemin qu’elle lui avait donné deux jours plus tôt. Il contempla les signes noirs qu’il était incapable de déchiffrer. Les signes qui lui accordaient la liberté. Mais pas le droit de l’aimer.
Il lui avait juré qu’il ne la laisserait jamais. Aujourd’hui, il n’en était plus si sûr. Il rangea le fragile parchemin. Il tentait de s’imaginer libre, seul à décider de son destin, seul à choisir où il lui plaisait d’aller…
— Je suis libre, dit-il à voix haute. Libre ! Pourquoi aller en Bretagne ? Pourquoi les suivre ? Je pourrais devenir garde ou soldat. Gagner de l’argent. Rencontrer des filles que je n’aurai jamais appelées domna. Qui ne m’auront jamais donné d’ordres et n’oseraient pas le faire ! Des filles simples, incapables de lire ou d’écrire. Qui ne réciteront pas de poèmes et ne me raconteront pas l’histoire de Rome ! Des filles qui pourraient m’aimer sans s’avilir.
D’un coup de talon, il lança Orion à l’assaut de la colline. Oui, mieux valait qu’il s’en aille. D’ailleurs, elle n’avait pas besoin de lui. Elle avait Aneurin.